Message de Jean-François TAMELLINI, secrétaire fédéral FGTB, ce 22 mai 2018
Pénibilité : coup dans l’eau…
Je vous annonçais hier qu’un comité de gestion extraordinaire avait été convoqué aujourd’hui au service fédéral des pensions pour remettre un avis sur l’avant projet de loi de Bacquelaine concernant la pénibilité.
Coup dans l’eau puisque… le banc patronal n’était pas en nombre. Impossible donc de remettre un avis officiel. Renvoi à un prochain comité de gestion (Lundi prochain ?).
Je vous livre néanmoins mon analyse perso de ce qui se trouve actuellement dans les textes de Bacquelaine pour les travailleurs salariés. Des reculs magistraux, des pièges comme des trams, des dangers inquiétants… Pas grand-chose de bon sur la table actuellement comme je vous l’explique ci-après :
1. Recul sur les 4 catégories de pénibilité !
Alors que le gouvernement avait marqué son accord sur 4 catégories de pénibilité (charge physique, organisation du travail, risque de sécurité accru et charge psychosociale) dans la mesure où les critères retenus étaient objectifs, mesurables, enregistrables et contrôlables, il revient en arrière (sous pression des employeurs) en ne permettant de cumuler que 3 des 4 critères; par ailleurs, si un travailleur relève uniquement de la catégorie « charge psychosociale », il ne serait pas reconnu en pénibilité, et ce même en cas de reconnaissance objective, mesurable, contrôlable et enregistrable du critère.
Il s’agit clairement d’une rupture de contrat et d’une marche arrière du gouvernement !
2. Plus c’est pénible, plus on perd !
Avec la formule proposée par le gouvernement, plus le métier sera pénible, moins le montant de la pension sera élevé !
Dans le régime général, un travailleur pourra désormais partir en retraite anticipée au plus tôt à 60 ans si il a cumulé 44 années de carrière.
Il aura alors une pension calculée sur 44/45ème de sa pension complète.
Si il est reconnu dans 1 catégorie de pénibilité, il pourrait par exemple arrêter à 60 ans avec 42 années de carrière. Sa pension serait alors calculée sur 42/45ème de sa pension complète (au lieu de 44/45ème).
Si il est reconnu dans 2 catégories de pénibilité, il pourrait arrêter à 60 ans avec 40 années de carrière. Sa pension serait alors calculée sur 40/45ème de sa pension complète.
Si il est reconnu dans 3 catégories, il pourrait arrêter à 60 ans avec 38 années de carrière. Sa pension serait alors calculée sur 38/45ème de sa pension complète.
Concrètement, cela veut dire que pour un travailleur qui a 1 critère de pénibilité et qui aurait droit à la pension minimum (1.185€/mois), il perdrait 54€/mois.
Pour un travailleur qui cumule 3 critères de pénibilité et qui aurait droit à la pension minimum, il perdrait 162€/mois !
Pour les travailleurs qui touchent la pension maximale (2.357€/mois), la perte serait de 80€/mois pour 1 critère de pénibilité, et monterait jusque 254€/mois s’il cumule 3 critères de pénibilité !
3. Bonus pour mourir plus tôt !
A noter que l’avant projet de loi prévoit que les travailleurs reconnus en pénibilité pourraient recevoir un bonus s’ils acceptent de travailler plus longtemps. Ce qui constitue selon le gouvernement un droit nouveau pour les travailleurs.
Il convient d’une part de rappeler que ce bonus pension avait été mis en place sous la précédente législature (bonus jusque 254€/mois pour les travailleurs qui pouvaient partir en pension anticipée mais qui étaient en capacité de continuer à travailler) mais qu’il a été… supprimé par Bacquelaine en 2014 !
Le gouvernement ne fait donc que réinstaurer un droit qui existait pour l’ensemble des travailleurs et qu’il ramène uniquement pour les travailleurs en condition pénible, sous la forme d’une rente mensuelle liée à leur espérance de vie…
Il est par ailleurs essentiel de souligner que l’objectif de la reconnaissance de la pénibilité vise à compenser l’impact sur la santé des travailleurs de la pénibilité du travail en leur permettant d’arrêter plus tôt leur carrière sans perte de pension, plutôt que de pousser les travailleurs à abimer leur santé plus longtemps. La philosophie développée par le gouvernement s’assimile purement et simplement à un bonus à mourir plus tôt, rien d’autre !
4. Passé enterré !
L’avant projet de loi s’assimile à un véritable hold up sur le passé ! En effet, pour les travailleurs qui ont exercé des fonctions pénibles durant ces dernières années, mais qui ne l’exerceraient plus au 1/1/2020 (parce qu’ils ont été reclassés ou qu’ils ont perdu leur emploi ou changé d’employeur, etc), le gouvernement efface tout ! Pas un euro de compensation ni de possibilité de partir plus tôt.
Si le travailleur exerce toujours la fonction pénible au 1/1/2020, mais a changé d’employeur, il perd tout.
Et dans le moins mauvais des cas, si il exerce la ou les fonctions pénibles chez le même employeur au 1/1/2020, tout ce qu’il a presté avant le 1/1/2010 (ou 2015 pour la NVA) est perdu. Et on a même appris aujourd’hui que si le travailleur a cumulé 2 ou 3 fonctions pénibles ces 5 ou 10 dernières années, il ne pourra en valoriser qu’une au maximum. Infecte !
5. Uniquement les prestations effectives ?
L’avant projet indique que seules les prestations effectives pourront être prises en compte pour la reconnaissance de la pénibilité. On parle donc de journées effectivement prestées, en excluant vraisemblablement les périodes assimilées ou toute forme de prestation qui donne pourtant droit à des rémunérations mais qui ne sont pas effectivement prestées.
L’avant projet évoque un AR qui devrait définir plus clairement ces prestations effectives, mais le risque est énorme de voir à nouveau les travailleurs les plus fragiles sanctionnés.
6. Chronique d’une arnaque annoncée
L’avant projet de loi prévoit explicitement deux mesures permettant au gouvernement de pouvoir refuser de reconnaitre la pénibilité pour limiter ses dépenses budgétaires (à la demande des employeurs):
– Si l’employeur peut prouver que des mesures de prévention permettent de diminuer la pénibilité, pas de reconnaissance de pénibilité pour les travailleurs ; or on connait la différence entre la théorie des mesures de prévention et les réalités vécues sur le terrain !
– Si un comité d’experts estime que l’enveloppe budgétaire préalablement définie est dépassée, même si on peut prouver que des critères objectifs, mesurables, enregistrables et contrôlables sont d’application, le gouvernement ne reconnait pas la pénibilité…
Il s’agit clairement, sur base des textes actuels, d’un jeu de dupes pour les travailleurs !
On peut encore relever dans les textes actuels une série d’éléments particulièrement préjudiciables pour les travailleurs, comme par exemple :
– Le fait que le soi-disant bonus (qui serait affecté sous forme de rente liée à l’espérance de vie) soit calculé d’office, quelle que soit la situation de ménage du travailleur, sur une situation de… travailleur isolé !
– Le fait qu’il faille avoir presté au minimum 5 ans (10 ans pour la NVA) pour pouvoir bénéficier de la pénibilité, qui plus est sur base de jours équivalents temps plein ; ce qui amène de grosses inquiétudes concernant notamment les travailleurs à temps partiel…
A ce stade, vous l’aurez compris, le projet de Bacquelaine est imbuvable.
Nous devrons vérifier, lorsque les employeurs seront en nombre, si des possibilités existent de rectifier fondamentalement les axes développés par Bacquelaine. Et si Bacquelaine est prêt à revoir sa copie.
Je vous tiendrai au courant de l’évolution des discussions. Mais une chose est claire, si nous ne continuons pas à mettre la pression sur Bacquelaine et sur les employeurs, nous n’obtiendrons pas grand-chose…
Ah oui, j’oubliais… Le cabinet Bacquelaine nous prévient qu’il veut aller très vite. Il voudrait boucler le projet de loi ainsi que la liste des fonctions pénibles pour le… 15 juillet (2018)… Concertation sérieuse ou mascarade? Nous serons vite fixés…